LA COULEUR DU SOLEIL J4. --- À la Maternité du Coin L'infirmière est entrée dans notre chambre avec sa bonne humeur habituelle. Un petit appareil dans les mains, elle explique qu'elle est venue vérifier si le nouveau-né avait la jaunisse. La jaunisse ? C'est vrai que la pédiatre est passée plus tôt ce matin et nous a fait remarquer cette légère couleur sur son visage. Nous n'y avions pas prêté attention avant qu'elle ne le mentionne. « Et s'il l'a, c'est quoi le traitement ? » Je m'attends à une prise de médicaments quelconques chargés en vitamines D. Pas du tout. « Je dois vous dire que c'est un peu lourd, me répond-elle dans un sourire légèrement crispé. En gros, en fonction du degré d'évolution, on le met dans une machine qui lui envoie des rayons pendant trois, six ou neuf heures. » Je sursaute : « Neuf heures ? Vous voulez dire : d'affilée ? -- Oui. Mais ne vous inquiétez pas, s'empresse-t-elle d'ajouter, on fait des pauses toutes les trois heures. » Je ne suis pas certain qu'elle se rende compte de l'énormité qu'elle vient de dire à de tous nouveaux parents. Alors je ne relève pas. Tandis qu'elle commence à défaire la couverture puis à dégager le torse du bébé pour y apposer son outils de mesure, je me dis qu'il doit y avoir une autre solution. Mieux : il doit y avoir une autre raison à ce teint. Dans un flash mental, je me retrouve soudain sur le marché du quartier de Colosio, au sud d'Acapulco. Tout me revient brusquement. La lumière éblouissante. Le bleu du ciel. La chaleur lourde. Les odeurs mélangées. La foule bigarrée. L'agitation des commerçants qui interpellent les clients. Ici, les femmes qui se bousculent pour saisir le plus beau fruit ; là, le plus beau légume. Les cris des enfants qui, esquivant de justesse les chalands, se courent après dans ce joyeux bazar. Et le merveilleux sourire de ma belle-mère, qui se presse d'ajouter dans le grand sac que je porte pour elle ce qu'elle vient d'acheter au meilleur prix pour le repas du jour. Parmi toutes les couleurs qui accrochent mon regard, je me souviens d'avoir été saisi par celle des poulets accrochés aux étales des bouchers : leur peau était jaune vif. Non pas blanchâtre, comme en France, mais vraiment jaune, comme dans les cartoons que je voyais enfant à la télévision. Je m'étais dit que cela devait sûrement venir de la différence d'alimentation entre les gallinacés de part et d'autre de l'Atlantique. C'est alors que la cause du teint du bébé m'apparaît comme une évidence. Et elle, l'infirmière, ne peut pas s'en douter car elle ne connaît pas les origines de la maman. En toute logique, elle ne pouvait donc pas deviner que le nourrisson qu'elle a pris dans ses bras est un protégé de Tonatiuhteotl. CQFD. Je lui explique : « Non mais c'est pas la jaunisse. Vous savez, cet enfant est à moitié mexicain. De descendance aztèque. Il est un des nombreux fils du Soleil. C'est le Maïs Sacré qui coule dans ses veines qui lui donne cette couleur jaune. Ça va s'estomper avec le temps. » Le regard rivé sur son instrument, elle a un petit rire convenu, comme si je lui avais fait une blague. Puis, après un court instant, elle finit par nous dire que tout est normal. Bien sûr que tout est normal, je viens de lui en donner la raison ! Mais je n'insiste pas. Je crois qu'elle ne peut pas comprendre. --- CC BY f6k@huld.re