LES PLANNINGS, AH OUI, HEIN, C'EST COMME ÇA Date : ██████████ 2022 12:46:45 +0100 De : ██████████████ À : f6k@huld.re Objet : Planning de ███████ 2022 de ██████████ Bonjour, Vous trouverez ci-joint votre planning pour le mois d'/de ███████ 2022 Merci de prendre en compte et confirmer par mail celui-ci Cordialement Bonne réception ⁂ « Amor ? Tu travailles ce dimanche ? -- Raah ! Mais je t'ai envoyé mon planning déjà, tu veux pas le regarder ?! -- Oh, ça va, te tranquilizas ? Si ? -- Grumpf... -- Je te pose juste une question, d'accord ? Je l'ai pas avec moi là, je suis avec ta mère par message. -- Elle veut qu'on vienne chez eux ? -- Non, elle veut savoir ce qu'on fait. -- Ok. Pfff... Attends je regarde... Hum... Oui, je fais 8h-19h. -- D'accord. Bon, on va aller avec tes parents au parc, pour faire un pique-nique avec Sosito, ok ? -- Bah, de toute façon, je serais pas là. » ⁂ Août 2022. Avec le collègue, on décide de prendre une pause. Je l'accompagne à l'extérieur pour fumer une clope. Techniquement, c'est interdit. Mais bon, on est dimanche et il n'y a personne. Et quand bien même ; qu'ils aillent tous se faire foutre. Il voit bien à mon air que quelque chose cloche. « Comment ça va ? », me demande-t-il. Je soupire. Je suis à fleur de peau. J'ai envie d'envoyer balader tout et tout le monde. Même les plus proches. Peut-être surtout les plus proches. Qui, à part eux, pourraient prendre le temps et avoir l'infinie patience de m'entendre ? Et soudain, ça sort tout seul. D'un seul coup, je lui vomis ma frustration sur les chaussures : « J'en peux plus, j'arrête pas d'enchaîner avec des horaires de merde ; je ne sais plus quand j'ai eu mon dernier jour de repos ; je rentre chez moi, ma famille est déjà couchée ; je me lève pour retourner au boulot, ils ne sont pas encore réveillés ; et avec les nuits, quand je rentre le matin, c'est pour dormir avant de repartir aussitôt ; donc je les vois pas plus ; j'ai littéralement pas vu mon fils depuis trois jours ! » Ça va faire deux mois que ça dure. Des changements de plannings constants, parfois plusieurs fois par jours, avec des horaires plus pourris les uns que les autres, étalés sur des plages d'emploi du temps totalement erratiques, avec des sites aux quatre coins de la ville. La semaine dernière, j'ai explosé les durées légales de travail ; même celles couvertes par les exceptions. Des trucs tellement aberrants que le responsable d'exploitation a dû attendre la validation du directeur pour l'officialiser sur mon planning. Il m'arrive de rentrer pour dormir à peine quatre heures avant de repartir. Si seulement les heures supplémentaires étaient payées correctement ; mais même pas ! J'en peux vraiment plus. Je rêve d'envoyer tous mes plannings à l'inspection du travail. Saisir les prud'hommes même. Qu'ils soient condamnés. Tous. Que ça se sache. Qu'on en parle sur la place publique. Avec le nombre d'irrégularités qu'il y a, rien que ce mois-ci, ça ne ferait pas un pli. D'accord, ça ne les empêcherait pas de continuer leurs magouilles, c'est certain. Et vu le fric qu'ils se font sur certains marchés, malgré la sanction, ils verraient à peine la différence sur les résultats de fin d'année. Non, ça ne changerait pas grand chose. Et puis toutes les boîtes dans ce domaine enfreignent constamment le droit du travail ; alors à quoi bon ? Il n'empêche. Ça me ferait vachement plaisir de les voir comparaître. Un vrai plaisir sadique de juriste. Saveur vengeance. « Tu sais quoi ? » Je me mets à rire. De ce rire nerveux et faux qui manque d'exploser. « La semaine dernière, ma femme m'a dit qu'elle avait l'impression d'être une mère célibataire. » Je secoue lentement la tête, me calmant subitement. « J'ai pas percuté au début. Elle m'a dit ça comme ça, au milieu d'une conversation entre deux portes. Je t'assure, c'est fou quoi, j'ai carrément pas percuté. Je comprends pas. Je crois que j'ai pas voulu entendre. Mais depuis deux trois jours, ça me tourne dans la tête. » Je finis de reprendre légèrement mon souffle avant de conclure : « Mère célibataire. T'imagines ? » Sans autre réaction, il expire lentement, et avec un léger bruit, des volutes bleues de fumée entre ses dents. À l'époque de mon grand-père --- celui qui était marin au long cours endurci ---, il aurait été ce qu'on appelait alors un « sacré gaillard ». La trentaine rayonnante. Le teint sérieusement halé par ses origines maghrébines. Pas très grand, mais baraqué. Tanqué. Nerveux. Pas spécialement une figure de mode mais un visage taillé. Toujours bien apprêté. Le cheveu noir, court. La nuque toujours dégagée. Les sourcils naturellement dessinés. Toujours rasé de frais. Ou sinon, quand l'envie lui prend, une barbe de trois jours bien entretenue. Avec un charisme engageant qui lui donne un succès certain auprès des filles. J'ai vu à de nombreuses reprises les œillades qu'elles lui lançaient tandis qu'il les ignorait royalement. Malgré son air bourru, il représente le stéréotype de la masculinité. Pas celle qu'essaye de nous vendre les magazines, la télévision et les affiches publicitaires, avec les faux muscles et les tablettes de chocolat. Non. Le vrai bonhomme. Au naturel. Celui que ces mêmes filles rêvent probablement, et en secret, de glisser dans leur lit tout en lui susurrant à l'oreille qu'il leur fasse des enfants. Le genre de gars avec une poignée de main sincère et virile, qui transpire un calme de façade d'où on devine des défenses grosses comme ça. Et le cœur sur la main en plus. Toujours premier de cordée. Toujours premier à se lancer dans la bataille pour aider son prochain. Toujours à se porter volontaire ou à rendre service. Après avoir calé sa cigarette au coin des lèvres, les yeux plissés pour contrarier la fumée, il entreprend de relever la manche de son bras gauche jusqu'au coude. Sur l'intérieur de son avant-bras qu'il me fait voir, s'étend un tatouage. Énorme. Un prénom masculin. « Ça, c'est mon fils », m'explique-t-il de sa voix forte après avoir repris sa cigarette en main. « Quand il est né, je le voyais tellement pas que je me suis fait tatouer son nom. Ah oui, hein. Et comme ça, quand il me manque, je regarde son nom et ça me réchauffe un peu le cœur. Ça oui ! » Tout en remettant sa manche, il fait de grands gestes pour étayer son propos. « Tu vois, avec ça, je pense à lui. Avec les horaires qu'on a, comment j'aurais fait sinon ? Moi je peux dire, j'ai pas vu grandir mon fils. Ah oui ! Des fois, ça fait mal au cœur, mais qu'est-ce que tu veux... C'est le travail. Alors j'ai fait ce tatouage. Comme ça mon fils, il est toujours avec moi. Ah oui, hein. » Tapotant son avant-bras, il ajoute : « Il a six ans maintenant. Il m'accompagne partout où je vais. » Je ne sais plus s'il parle de son tatouage ou de son enfant. J'ai l'impression que les deux se sont mélangés dans son esprit. Et dans le mien. Il se met alors à sensiblement se balancer d'un pied sur l'autre, l'air un peu gêné. « Et, bon, pour ma femme... » Mais reprenant aussitôt sa contenance, il siffle entre ses dents : « Allez, va... Tu sais. Je préfère pas parler. » Le regard perdu, il tire une nouvelle bouffée sur sa cigarette avant d'en recracher calmement la fumée. Puis ajoute : « Ah oui, hein, tu vois, je comprends parfaitement ce que tu veux dire. Toi et moi c'est pareil. » ⁂ « Amor, tu travailles quand demain ? Tu peux aller chercher Sosito à la crèche ? -- Pfff... T'es sérieuse ? Je t'ai envoyé mon planning. Normalement, t'as la dernière version à jour. Tu peux pas vérifier toi-même ? -- Oh, ça va ! Je suis avec une cliente sur Insta, je peux pas regarder en même temps ! -- Pfff... Tu parles... Attends... Hum... Demain, je fais 15h-23h. -- Ah ? ... Chinga. Bon, j'ai pas le choix, il faut que je la mette de 14 heures à 16 heures. Pues, ni modo. Je vais essayer de finir vite pour pouvoir aller chercher Sosito à la crèche. » ⁂ Octobre 2022. « Hey ! Salut ! Comment vas-tu ? Ça fait un moment ! » Je suis content de la voir. Elle est vraiment gentille. Après la naissance de mon fils, à une vacation qu'on avait en commun, elle m'avait rapporté une spécialité algérienne. Un genre de dessert à base d'amande et de miel. Une boite entière, remplie à ras bord. « C'est pour ta femme, m'avait-elle dit. On fait manger ça chez moi aux nouvelles mamans. C'est fait maison. C'est moi qui l'ai fait. C'est bon. Ça aide pour donner le lait. » Regardant la boîte, je me suis dit qu'elle avait dû y passer un après-midi entier. Juste pour une attention délicate envers ma femme qu'elle n'a jamais vu. Je lui ai demandé plusieurs fois mais je n'ai jamais réussi à me souvenir du nom de ce plat. J'y avais goûté évidemment. C'était délicieux. « Ça va, hamdulillah », me répond-elle de sa voix posée. « Un peu fatiguée. » Elle vient d'Oran. Elle a un phrasé chantant et qui prend son temps, typique des gens qui mènent une vie paisible au bord de la mer de ce côté de la Méditerranée. « Oui, j'ai appris qu'on t'avait mis en vacation du matin à l'aéroport. -- Moi je voulais pas. J'ai dit non au départ. J'ai dit je veux pas y aller. Mais le responsable, il m'a dit qu'il ne pouvait pas faire autrement. C'est comme ça. » Elle soupire doucement. Une grande compassion m'envahit alors. Je sais ce que c'est que de faire l'aéroport le matin. C'est pas évident. Il faut se lever très tôt --- trop tôt. Faire la route. Se tenir debout dans la nuit. Dans le froid. Elle est mère de famille en plus, ça doit être compliqué avec son dernier né. « Et comment vont tes enfants ? Le bébé, tout va bien ? -- Oui, ça va, il grandit. » Elle rigole et son regard s'illumine quand elle dit ça. « Mais là avec les horaires, c'est vraiment difficile. -- J'en doute pas. C'est ton mari qui s'en occupe quand tu pars le matin du coup ? -- Non, parce qu'il doit m'emmener à l'aéroport en voiture. Le bébé est chez ma mère. » Je l'imagine au milieu de la nuit, devoir réveiller les enfants, puis aller chez sa mère non loin de là, avant de partir au boulot. Ça doit être une sacrée organisation. C'est presque surréaliste. Alors je lui pose la question. « Ah non ! s'exclame-t-elle. Je l'amène le soir. Elle lui donne le biberon. Alors lui, il dort bien la nuit, hamdulillah. Je lui laisse ma fille aussi. Ma mère, la pauvre. Mais elle est contente parce qu'elle passe du temps avec ses petits-enfants. Et moi je me lève tôt avec mon mari. Comme ça on réveille pas les enfants. Oui. C'est comme ça. » Elle m'expliquera ensuite qu'en rentrant, elle doit dormir et qu'elle se réveille dans l'après-midi. Mais je sais, pour l'avoir vécu, que malgré ces siestes, parfois trop longues, au bout d'un moment le rythme circadien est bousillé. On se retrouve à être constamment épuisé. « Ça fait un mois déjà. Je le vois pas beaucoup, comme avant. C'est difficile mais heureusement il y a ma mère et ma sœur. » Elle soupire à nouveau doucement. « C'est comme ça. » ⁂ « Amor, tu commences à quelle heure demain déjà ? -- Hum, je sais plus, attends... Tu as vu mon téléph... Ah, non, c'est bon. Alors... Demain... Je fais... 17h-23h. -- Ok. Tu peux aller chercher Sosito à la crèche alors ? Je vais mettre une cliente jusqu'à 16 heures. -- Ouai, Corazón, bien sûr ! » ⁂ Novembre 2022. Je fais le piquet devant l'entrée principale. Derrière moi, j'entends le bruit d'une porte. Me retournant à demi, j'en vois le battant qui se referme. J'ai vu des chefs d'État sortir par cette porte, et tout un tas d'autres célébrités plus ou moins connues. Mais là c'est un collègue qui vient de sortir de la salle. Je lui souris et, tandis qu'il s'avance dans ma direction, je lui fais un signe de tête amical. Je l'aime vraiment bien. On a un peu le même état d'esprit. Un gars vif et plein d'entrain. Un jeune homme au grand cœur, malgré une vie qui l'a déjà bien amoché. Je me demande souvent ce qu'il fait à bosser à temps plein dans ce boulot. Il devrait être à la fac. Mais bon, on a tous un parcours particulier, et des factures à payer. On s'entend super bien lui et moi. Il faut dire, on était en formation ensemble l'an dernier pour ce job alors, du coup, on se considère plus comme des amis que comme des collègues de travail. C'est agréable d'être au boulot avec lui. Alors qu'il arrive à ma hauteur, je lui lance : « On reprend dans combien de temps ? -- Dans environ une heure vingt, me répond-il. -- Ça va, ça nous laisse le temps. -- Ouai. » Bien droits, positionnés l'un à côté de l'autre, on a une vue dégagée sur la place qui se déploie face à nous. C'est un bel endroit. Les pavés ont cette charmante teinte rosé. Il y a de nombreux arbres. Surtout, il y a une grande fontaine au centre qui fait office de monument aux morts. Et des tas de petits commerçants de part et d'autre. Là le boucher, ici le boulanger, là encore le coiffeur, puis le courtier en assurance, le banquier, le médecin. La superette d'un côté, l'épicerie bio de l'autre. Deux bars, trois restaurants, et un kebab où on mange trop souvent avec les collègues. Des gens qui vaquent à leurs occupations. Certains se promènent ; seul, avec un chien, en couple, entre amis. D'autres sont assis sur le rebord de la fontaine pour faire une pause, pour discuter, ou pour attendre patiemment l'arrivée d'un rendez-vous. Des rires nous parviennent de la terrasse du café qui fait l'angle. Personne ne semble pressé. Quelques pigeons s'envolent. Si ce n'était pour le boulevard que l'on distingue au bout de la rue, on aurait dit le centre d'un petit village du sud de la France. Les températures sont fraîches mais le ciel est clair malgré tout. Une fin d'après-midi agréable en somme. Je décide de rompre le moment et d'initier la conversation : « Alors, je te vois plus trop ces temps-ci. T'es où actuellement ? » Il tourne sa tête vers moi en faisant la moue pour me répondre : « Bah, j'ai l'autre site là, où je suis souvent depuis cet été. Mais en plus il m'a mis à l'aéroport. Le matin. -- Le matin ? Mais c'est pas la collègue qui avait pris ce poste ? Genre à plein temps ? -- Elle veut plus le faire, avec le bébé et tout... -- Ah oui, je suis au courant, j'en avais discuté avec elle déjà. » Ces foutues vacations du matin à l'aéroport. Ça faisait longtemps que j'en avais pas entendu parlé, et c'était très bien comme ça. Pensant à voix haute, je reprends : « Ça veut dire que je vais probablement en avoir le mois prochain aussi. J'en ai pas eu une seule depuis un moment. » C'est pas une bonne nouvelle pour moi, mais bon. « Et t'en fais beaucoup de ces vacations ? -- Ouai, franchement pas mal. J'y étais ce matin. » Interloqué, je me retourne complètement vers lui : « Attends ce matin, là ? Mais qu'est-ce que tu fous ici alors ? L'enfoiré ! Il t'a aussi mis une vacation pour ce soir ? -- Ah mais ça m'arrive souvent, c'est pas ça qui le gène... Attends. » Sortant de sa poche son téléphone, il l'active pour me montrer son planning. Je vois des tas de vacation à l'aéroport le matin avec, plusieurs fois pour ces mêmes jours, des services sur d'autres sites en soirée. Reprenant ma position face à la fontaine, je lui glisse dans un rire ironique : « C'est bien. Début de service à 6 heures du matin, et fin de service à 23 heures ! Tout ce qu'il y a de plus légal ! -- Ouai ! confirme-t-il avec un sourire en coin. Enfin, avec eux, franchement, on n'est plus à ça prêt. -- Non. C'est vrai que je devrais même pas être étonné... » Après être sorti de formation, on s'est fait embauché en même temps dans la société, à un jour d'intervalle. Et on s'est vite rendu compte lui et moi qu'on nous avait attribué à peu près la même fonction : bouche-trou. Et le souci c'est qu'il a le même défaut que moi. Il est d'un naturel très serviable et ne sait pas dire non. Je tiens ça de mon père ; lui de sa mère, je crois. Bref, ça fait de nous des bouche-trous en or pour notre responsable. Autrement dit, les plannings pourris que je me paye, il les a aussi. La preuve une nouvelle fois. « Et la fatigue, du coup, tu tiens bon ? je lui demande. -- Non, je suis crevé, me répond-il en écarquillant les sourcils. Quand je me lève le matin je reste comme un con sur le canapé à rien faire avant de partir. Je scotche quoi. -- Ouai, je comprends, ça me fait pareil. Je suis là, sans bouger, à regarder dans le vide. -- C'est ça, pareil ! -- C'est mauvais pour notre santé mentale ce boulot, très mauvais. » Après une courte hésitation, il continue : « Et le soir, c'est pas mieux. Je rentre, je me cale sur le canap' et je picole en regardant des conneries à la télé ou en deathscrollant sur internet. » J'ai tiqué. Dans ma tête, ça s'accélère. Je me tâte à poser la question mais bon, étant donné la façon dont il l'a présenté, je décide de me lancer malgré tout en essayant de garder un air détaché. On a tous les deux le regard rivé droit devant nous, vers la place. Les mots ne me semblent pas sortir de ma bouche : « Tu bois souvent le soir en rentrant ? -- Presque tous les soirs. -- Tu bois quoi ? -- Vodka. » Je baisse un peu la tête vers le sol. On n'est que tous les deux, il n'y a personne à côté de nous pour nous écouter. Et puis, comme dit, on n'est pas vraiment des collègues de travail. Plutôt des amis quoi. Je finis donc par répondre : « Ouai, moi aussi. Enfin pas de la vodka. En ce moment c'est du vin rouge. Et cet été j'ai tourné à la bière. -- Tu bois beaucoup ? me demande-t-il d'un ton un peu flottant. -- Quand même ouai. Des fois, la bouteille de rouge peut y passer sans problème. » Je tiens à chaleureusement remercier mon entraîneur qui m'a permis d'arriver en finale de ce concours d'euphémismes. « Toi ? -- Je peux taper la demi bouteille de vodka. » J'ai toujours le regard plus ou moins tourné vers le sol. Du coin de l'œil, je vois que lui continue d'observer le lointain. Je remarque alors sur le parvis deux gamins qui sont arrivés avec leurs planches de skateboard. Un grand et un plus jeune. Je les vois rapidement mettre au point quelque chose, avant de se positionner pour s'élancer. Tandis que je les observe, je l'entends sortir un paquet de cigarette de la poche intérieure de sa veste. Il la pose sur ses lèvres, remet le paquet à sa place. Puis, tirant un briquet de son pantalon, il l'allume. Il tire une longue première bouffée. Comme s'il reprenait sa respiration. Recrachant bruyamment la fumée de sa cigarette, il tourne finalement sa tête vers moi : « On a vraiment un boulot de merde, hein ? » Les deux gamins se sont élancés et roulent de concert. Le grand essayant des combinaisons tandis que l'autre, le plus jeune, presque accroupie sur sa planche en mouvement, l'encourage et le filme avec son téléphone portable, style travelling de cinéma. Après avoir inspiré une grande bouffée d'air, je soupire avec emphase avant de répondre : « Ouai. Un putain de boulot de merde. » ⁂ « Amor, tu finis à 21 heures aujourd'hui c'est ça ? -- Oui, normalement. -- Et demain tu commences à quelle heure ? -- Je dois y être pour 6 heures 30. -- Hum... J'avais envie de faire le pulled pork pour ce soir. -- Bah vas-y si tu veux. Si tu m'attends un peu, on mange ensemble. -- Ok, super ! » ⁂ Samedi 4 février 2023. 21:32 - Moi : Corazón, ma relève est pas venue. J'ai téléphoné pour que quelqu'un vienne me remplacer mais je sais pas quand il va arriver... 21:32 - Moi : Vraiment désolé ; ne m'attends pas 21:32 - Moi : Je t'aime 💞 21:33 - Elle : Aïe. Encore ? 😩 Bon courage amor 21:33 - Moi : Oui 😦 21:36 - Elle : Tu es où ? 21:37 - Moi : ██████████████ 21:37 - Elle : Ok 21:38 - Elle : Je te laisse des frites et du pulled pork 21:38 - Moi : D'accord, merci mon ange 21:38 - Elle : Pour que tu te fasses un sandwich en rentrant 21:38 - Moi : 💖 21:39 - Moi : Désolé mon cœur 21:39 - Elle : T'inquiète pas, je regarde les vidéos de ma formation 21:39 - Moi : Okay 23:40 - Elle : Ça va mi amor ? 23:45 - Moi : Oui Corazón 23:45 - Moi : Et toi ça va ? 23:47 - Elle : Tu as eu une réponse ? 23:47 - Elle : Ils ont envoyé qqn ? 23:48 - Moi : Non pas encore ; j'ai à nouveau eu quelqu'un au téléphone tout à l'heure qui m'a dit qu'ils envoyaient une personne mais ils ont pas su me dire quand 23:52 - Elle : Okay 23:52 - Elle : Courage mi amor 23:52 - Elle : Je vais aller me coucher 23:52 - Moi : Te amo 23:52 - Elle : Te amo 23:52 - Moi : Dors bien 23:52 - Moi : 😘 😘 😘 23:53 - Moi : Courage avec Sosito pour demain 23:53 - Elle : Oui 😘 ⁂ Jeudi 23 février 2023. « Ça va Corazón ? Ça a été la journée avec Sosito ? -- Oui, ça va. C'était un peu difficile ce soir mais j'ai finalement réussi à l'endormir. -- Ok. -- Tu travailles à quelle heure demain ? -- Je commence à 7 heures. -- Tu es pas trop fatigué ? -- Si épuisé. Et toi ? -- Je suis exténuée. Je crois que je vais aller me coucher. Je t'ai laissé ton plat dans le micro-onde. » Elle fait une pause. Je vois qu'elle a quelque chose à me dire. Elle hésite. Je lui laisse le temps. « Tu sais, j'ai beaucoup réfléchi. Je crois qu'il faut que tu arrêtes ce travail. Je sais que tu as parlé de passer à mi-temps pour m'aider plus à la maison mais, regarde, je ne te vois presque pas étudier pour ton examen d'entrée en septembre. Si tu travailles moins, oui tu pourras m'aider avec Sosito, mais avec les horaires que tu continueras à avoir je crois que tu n'auras pas la tête à vraiment te mettre à étudier comme tu devrais. Alors que c'est le plus important. Pour toi, comme pour nous. » Je soupire. Je voudrais dire le contraire mais je sais qu'elle a raison. Alors je ne dis rien sinon un : « Oui. -- Tu devrais arrêter et te concentrer à fond sur notre famille et surtout sur ton examen. -- C'est vrai, mais si j'arrête, comment on va faire pour les factures ? » Elle me sourit avec malice et s'approche de moi pour que je la prenne dans mes bras : « Ne t'en fais pas, j'ai un plan. » --- CC BY f6k@huld.re